EPIGRAPHE (du grec επι, sur, et γραφω, j'écris). Les Athéniens appelaient épigraphe, επιγραφενζ, l'officier qui réglait le chiffre des contributions, tenait les comptes publics et poursuivait le recouvrement des arrérages. De là le mot επιγραφη pour désigner, tantôt l'imposition elle-même, tantôt le rôle des contribuables. Épigraphe se dit spécialement en français d'une sentence courte, d'un passage de peu d'étendue, placé au bas d'une estampe, à la tête d'un livre ou d'une section de volume, pour en désigner le sujet ou l'esprit. Il en est de fort piquantes au bas des plus spirituelles caricatures de ces dernières années. Une épigraphe juste et bien choisie prévient favorablement le lecteur ; une épigraphe ambitieuse excite, au contraire, sa sévérité. Mais telle prétention, orgueilleuse en apparence, peut se justifier, lorsque l'on connaît la secrète pensée de l'auteur. En voici deux exemples remarquables, tirés de la vie littéraire de Montesquieu : il venait d'achever les Causes de la grandeur et de la décadence des Romains. Il y avait parmi les présidents du parlement de Bordeaux un homme d'esprit, aimant la belle littérature, et commençant à goûter la philosophie, comme on disait alors; Montesquieu lui confia son manuscrit, en le priant de lui en dire son avis. Quelque temps après, il reçoit de la bouche de cet ami le conseil de supprimer l'ouvrage, comme trop faible, trop au-dessous des Lettres persanes, et comme devant nuire à sa réputation. Le philosophe écoute ce conseil, sans trouble, sans humeur, reprend son manuscrit, y ajoute pour épigraphe : Docuit quae maximus Atlas, et livre le tout à l'impression. Environ onze ans après, Montesquieu arrive à Paris, apportant avec lui en manuscrit son grand ouvrage de L'Esprit des Lois, qu'il voulait publier après qu'Helvétius, son ami, lui en aurait dit sa pensée. Helvétius lit attentivement l'ouvrage, en porte le jugement le plus défavorable ; mais, se défiant de lui-même, il admet dans la confidence du manuscrit un homme versé dans ces matières, qui prononce comme lui. Plus hardi alors, Helvétius parle avec franchise à Montesquieu, et lui donne le conseil d'oublier entièrement L'Esprit des Lois, et même de le brûler. Montesquieu reçoit encore tranquillement cet avis, reprend son manuscrit, y ajoute pour épigraphe : Prolem sine matre natam, et l'envoie aux presses de Genève.
De nos jours, l'abus des épigraphes a été porté jusqu'au ridicule. A l'exemple de Walter Scott, on ne se contente plus d'en attacher à ses ouvrages mêmes, mais il en faut à toutes leurs parties, à tous leurs paragraphes ; et il en faut une demi-douzaine, dont quelques-unes sont souvent d'une longueur démesurée. Il ne se publie pas une chanson qui ne soit escortée de cinq on six épigraphes en grec, en latin, en danois, en anglais, en allemand, en espagnol, dans la langue des Caraïbes ou des trouvères, en sanscrit ou en pâli, en hébreu ou en basque. Les livres les plus musqués sont hérissés de cette sorte d'ornement, affecté par les écrivains qui affichent le plus de haine contre le pédantisme. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que la plupart, même des plus vantés, seraient fort embarrassés, s'ils devaient traduire les préliminaires polyglottes de leurs écrits. On sait assez en effet que l'érudition de nos hommes forts n'est pas souvent moins mensongère que leur gravité.
De Reiffenberg.
[Mars 2010]
L'entrée épigraphe du Trésor de la Langue Française informatisé, consultable ici.
ÉPIGRAPHE, subst. fém.
A. - Inscription sur un édifice qui indique en particulier la date de sa construction, sa destination. Elles [ces comédies] remplissent trop bien le but de toutes les épigraphes des salles de spectacle : « corriger les coeurs en riant » (Mme DE STAËL, Allemagne, t. 3, 1810, p. 191).
Rem. Ac. 1835, 1878 donnent ce sens comme ,,vieilli``; Ac. 1932 ne le mentionne pas.
B.- Citation placée en tête d'un écrit pour en suggérer le sujet ou l'esprit. L'épigraphe d'un chapitre, d'un livre; une épigraphe tirée de; mettre, porter en épigraphe. Il [V. Hugo] affectait de mettre au moindre de ses poèmes des épigraphes extraordinaires (PÉGUY, V.-M. Comte Hugo, 1910, p. 708).
Rem. On rencontre ds la docum. le verbe trans. épigraphier. Mettre une épigraphe à un écrit. Ce bréviaire (...) je l'ai épigraphié d'une parole (LÉAUTAUD, Essai sentiment., 1896, p. 25).
C. - P. ext.
1. Sentence inscrite sur un objet. Bracelet d'argent massif avec un mot anglais pour épigraphe (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859, p. 50).
2. Sentence propre à une personne, à un groupe de personnes, à une activité humaine, à un courant artistique ou de pensée :
[Décembre 2004]
Ah ! j'aime bien ce néologisme de Jean-Pierre Desthuilliers. Visitez son site.
[Décembre 2004]
Ci-contre, l'entrée ÉPIGRAPHE du Dictionnaire historique, thématique et technique des Littératures (Larousse, 1985). Remarquez l'erreur vers la fin du texte où l'encyclopédiste indique épigramme pour épigraphe.
[Décembre 2004]
Dans le Larousse du XXème siècle en six volumes de 1928, voilà ce qu'on dit de l'épigraphe :
Les anciens n'ont point connu l'usage des épigraphes, et nous ne trouvons d'épigraphes dans aucun des auteurs du XVIeme et du XVIIeme siècle. Au XVIIIème siècle même, on use également peu de l'épigraphe. Au commencement du XIXème siècle, Byron et Walter Scott font un emploi fréquent des épigraphes : le dernier en met en tête de chaque chapitre de ses romans. Parmi les épigraphes célèbres, on peut rappeler celle de l'Esprit des Lois : « Prolem sine matre creatam » (Enfant sans mère) ; celle des Confessions de J.-J.Rousseau : « Intus et in cute » (Intimement et jusque dans la chair) ; celle de l'Histoire naturelle de Buffon : " Naturam amplectimur omnem " (Nous embrassons la terre tout entière).
[Décembre 2004]