Brun, Doppagne et Chevalier
L'Art de composer et de rédiger
Baude, 1966
[Le travail de la pensée dans la composition française]
Quand on dit tout ce qu'on pensait, comme on le pensait, on a bien dit : le défaut, s'il y en a, est dans la pensée.
G. Lanson
Conseils sur l'art d'écrire
[Le travail de la pensée dans la composition française]
Ce n'est pas ma phrase que je polis, mais mon idée. Je m'arrête jusqu'à ce que la goutte de lumière dont j'ai besoin soit formée et tombe de ma plume.
[La mise en ordre des idées]
C'est faute de plan, c'est pour n'avoir pas assez réfléchi sur son objet, qu'un homme d'esprit se trouve embarassé et ne sait trop par où commencer à écrire&bnsp;: il aperçoit à la fois un grand nombre d'idées, et comme il ne les a pas comparées ni subordonnées, rien ne le détermine à préférer les unes aux autres; il demeure dans la perplexité; mais lorsqu'il se sera fait un plan, lorsqu'une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s'apercevra aisément de l'instant auquel il devra prendre la plume, il sentira le point de maturité de la production de l'esprit; il sera pressé de la faire éclore, il n'aura même que du plaisir à écrire; les idées se succéderont aisément et le style sera naturel et facile; la chaleur naîtra de ce plaisir, se répandra partout et donnera de la vie à chaque expression.
Buffon
Discours sur le style
[Le travail de l'expression dans la composition française]
Bien écrire, c'est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre; c'est avoir, en même temps, de l'esprit, de l'âme et du goût. Le style suppose la réunion, l'exercice de toutes les facultés intellectuelles.
[La pratique de la composition]
Le talent n'est qu'une aptitude qui se développe. On peut en acquérir deux ou trois fois plus qu'on en a. « J'apprends tous les jours à écrire », disait Buffon, qui ajoutait, d'ailleurs, ce mot si vrai : « Le génie n'est qu'une longue patience. »
Qui a travaillé plus sa forme que Boileau ? Et il n'était pas le seul à faire difficilement des vers faciles. La Fontaine n'a atteint le naturel qu'en refaisant près de dix fois la même fable. Taine, qui a feuilleté ses manuscrits à la Bibliothèque nationale, était épouvanté de les voir noircis de ratures. La Bruyère n'a publié qu'un livre qui est parfait. Pascal est le dernier mot de la netteté condensée, qu'on ne réalise que par le labeur. Montesquieu se raturait sans cesse. Chateaubriand nous apprend qu'il a refait jusqu'à dix fois la même page. Buffon recopia dix-huit fois ses Époques de la nature. Flaubert, on le sait, s'est tué à la peine. Pascal nous dit qu'il a refait jusqu'à quinze fois certaines Provinciales.
Si tous nos classiques avaient raconté leus procédés de composition, on verrait que Flaubert n'a pas été le seul à lutter contre les tortures de la phrase. Le style de la plupart des grands prosateurs sent le travail. Le travail est visible dans Boileau, Montesquieu, Buffon. Il n'y a guère que La Fontaine qui échappe à cette loi et chez qui le travail ne se sente pas. Or, c'est précisément celui qui a le plus travaillé !
Le principe de l'effort au travail, du continuel raturage est donc indiscutable. Il faut l'adopter a priori, aveuglément.