Maurice Rheims
Les mots sauvages. Dictionnaire des mots inconnus du dictionnaire : écrivains des 19e et 20e siècle
Larousse / Le souffle des mots
En cheveux blancs, il me faut donc aller
Comme un enfant tous les jours à l'école
Que je suis fou d'apprendre à bien parler
Lorsque la mort vient m'ôter la parole !
Magnard
poète toulousain, 1582-1646
[A]
L'histoire n'est-elle pas là pour nous empêcher
de condamner à la légère des mots sans crédit aujourd'hui, mais que leur fortune peut révéler demain ? Ne nous montre-t-elle point
Caillière, l'auteur des mots à la mode
signalant comme des intrus les adjectifs
haineux, respectable, désoeuvré, le
substantif impolitesse ! Ceci se passait dès 1693. En 1726, L'abbé Desfontaine, dans son
Dictionnaire néologique, condamnait à son
tour l'usage de détresse, scélératesse, naguère, encourageant, érudit, inattaquable, entente, improbable.
Lorédan Larchey
Dictionnaire historique d'argot, Préface
[B]
Qui donc a le droit de faire l'aumône à une langue si ce n'est l'écrivain ? la nôtre a très bien accepté les mots de mes devanciers, elle acceptera les miens, les parvenus seront nobles avec le temps.
Balzac
cité par Madeleine de Surville, Vie de Balzac
[C]
Vous ne connaissez pas l'histoire du chastre ?
Dumas, qui connaît tous les mots de toutes les langues, et qui les inventerait tous si, par bonheur, ils n'existaient pas, recula devant ce mot et décrivit avec son torse un superbe point majuscule d'interrogation. — Un chastre, lui dis-je, est un oiseau rare, l'avis rara des Anciens ; un oiseau d'augure, l'avis castrorum, comme disaient les Romains Marseillais. On a supprimé avis, on a dénatueé castrorum, et, par corruption progressive, chastre est resté : les étymologistes n'en font pas d'autres.
Méry
La chasse au chastre
[D]
Le poète usant des mots pour dire non pas leur sens, leur correspondance incantatoire au monde qu'ils ont charge de maîtriser, on peut le définir comme l'homme qui se sert des mots non pas seulement selon leur sens, mais selon leur pouvoir. Dans les mains du poète, la prise du langage sur le monde est magique et non logique seulement.
Thierry Maulnier
Introduction à la poésie française (Gallimard)
[E]
Leconte de Lisle ou Heredia n'ont pas fait de néologisme, ce sont plutôt des « bijoutiers poétiques » , « des mangeurs de chrysoprases », comme les appelait Catulle Mendès.
Cf. Jules Haret, Enquête, 1891.
[F]
Moi, pour mon compte...je ne lis que les préfaces et les tables, les dictionnaires et les catalogues, c'est une précieuse économie de temps et de fatigue. Tout est là, les mots et les idées.
Théophile Gautier
Préface des Jeunes-France (1833)
[G]
Mais si le lecteur devient difficile, le langage ordinaire ne suffit plus à l'émouvoir. Le réaliste cherche alors à obtenir le tromp-l'oeil par l'excessif du « style ». Goncourt, Huysmans paraissent... Un langage extraordinaire est appelé à suggérer des objets ordinaires. Il les métamorphose. Un chapeau devient un monstre, que le héros réaliste armé d'épithètes invincibles chevauche, et fait bondir du réel dans l'épopée de l'aventure stylistique.
Paul Valéry
Oeuvres, II, "Mauvaises Pensées "
[H]
(Doucement la mirabonde et les criques de la poule s'obstruent de darince et d'arbille de Brioude sur le coude la sauterelle du coude mange le frimas des Heindes et des Niobays de Soude. Le phiphre s'obsorbe par l'ôbe d'éracme.) On dansotte sur des pincettes pendant Aladin quiquiqui. Pierre est syllogone en pipe de mucèdre en or et en donc, matrès et matrop. L'étage au-dessous est occupé par Paris. L'x exaspaltère le feu de Seltz.
Paul Eluard
L'Immaculée Conception
[I]
Les mots aussi sont un pays de merveilles, et peut-être le premier de tous, sinon le seul. Il y a des mots indépendants tels que : lumencanadence, bourbimugre, fiolamege, orcalbusse et sourmichoutillotin, qui disent parfaitement ce qu'ils veulent dire. Cela se sent, bonnes gens, et si les lexiques et autres cimetières sont incomplets, c'est que le beau parler manque de bras.
Enfin, tout le monde sait aussi qu'il y a plus de force persuasive et de piment dans certains divertissements sémantiques que dans l'emploi sec et tradtionnel des mots et formules... Une " infirmemière " est plus juste qu'une " infirmière "... Ossitoyarmezin remplacerait avantageusement aux armes citoyen.
Léon-Paul Fargue
Préface à Sortilèges du verbe (Matila C. Ghyka)
[JK]
Dans la friche on sème des mots
on y sème aussi des phonèmes
des morphèmes des sémantèmes
roses roseaux aux bords de l'eau
bruns grains fichés dans les labours
verts coquelicots des prairies
noirs lys au fond des forêts
dans la friche on sème des mots
pour qu'ils repoussent bien plus beaux
Raymond Queneau
Battre la campagne, « La culture »
[L]
Aujourd'hui, tous les jeunes gens, toutes les personnes à imgination trouveront toujours plus court et plus satisfaisant pour le petit amour-propre d'auteur d'inventer des signes que de se donner la peine d'apprendre ceux qui sont en usage dans la nation à laquelle ils ont l'honneur d'appartenir.
Stendhal
Racine et Shakespeare
[M]
Qu'est-ce que c'est que ça, la tribune? s'écria M. Bonaparte Louis : c'est du « parlementarisme! » Que dites-vous de parlementarisme? Parlementarisme me plaît. Parlementarisme est une perle. Voilà le dictionnaire enrichi. Cet académicien de coups d'État fait des mots. Au fait, on n'est pas un barbare pour ne pas semer de temps en temps un barbarisme.
Victor Hugo
Napoléon le Petit
[N]
Quoi ! nous les romanciers, les ouvriers du genre littéraire triomphant au XIXe siècle, nous renoncerions à ce qui a été la marque de fabrique de tous les vrais écrivains de tous les temps et de tous les pays, nous perdrions l'ambition d'avoir une langue rendant nos idées, nos sensations, nos figurations des hommes et des choses, d'une façon distincte de celui-ci ou de celui-là, une langue personnelle, une langue portant notre signature et nous descendrions à parler de langage omnibus des faits divers !
[O]
Baudelaire, relatant sa première entrevue avec Gautier, écrit : « Il [Gautier] me demanda ensuite, avec un oeil curieusement méfiant et comme pour m'éprouver, si j'aimais à lire les dictionnaires. Il me dit cela d'ailleurs comme il dit toute chose, fort tranquillement, du ton qu'un autre aurait pris pour s'informer si je préférais la lecture des voyages à celle des romans. Par bonheur, j'avais été pris très jeune de lexicomanie, et je vis que ma réponse me gagnait de l'estime. »
Théophile Gautier
Art romantique
[PQ]
D. — Dans quelle langue écrit Audiberti, dans Comédia ? R. — Les jours pairs le français, les autres, l'audiberti.
Claude Roy
La main heureuse, extrait de poésie 40.
[R]
— Mon frère, donne-moi mon dictionnaire
— Lequel ? celui de Baudot ? celui de Richelet ?
— Eh non ! Mon néologier ; voilà le bon.
[S]
C'est bien plus facile d'écrire tout uni, tout propre, tout poli, avec des fleurs, un français tout cuit, tout rassis,... Toi, boulanger, on ne te demande pas, tiens, du pain sucré... Ça n'existe pas, les aristos de la boulangerie...
Bien plus dur de racler, peser, mouiller, pétrir, pétrir la simple farine d'aujourd'hui, ils ne le croiraient pas, « is n'el croirunt mie ».
André Stil
Pignon sur ciel
[T]
Il faut que les mots, pour être poétiques, soient chauds du souffle de l'âme, ou humides de son haleine.
[U]
[...] car nous savons que celui qui croit aux mots et qui les apprivoise, qui les aime et qui les nourrit, qui les soigne et les recharge, est bien plus près de la vérité et de la vie, bien plus de la joie et de la puissance que celui qui manie des idées (car on manie des idées)! Et c'est vrai que Littré et Larousse sopnt grouillants de sorcières. Quelle lecture terne à côté de celle de ces bons-hommes? Aucune. Ils ont tout étalé. C'est la caverne des quarante voleurs.
Léon-Paul Fargue
Préface à sortilèges du verbe (Matila C. Ghyka)
[V]
J'écris comme je parle quand l'ange du feu de la conversation me prend comme prophète.
Barbey d'Aurevilly
Lettre à Trébutien, 12 février 1855
[WYZ]
Le langage est étourdi — oublieux. Les significations successives d'un mot s'ignorent. Elles dérivent par des associations sans mémoire et la troisième ignore la première.
Paul Valéry
Oeuvres, II, «Tel Quel »